Il s'agit d'un petit volume, avec reliure en vélin et frontispice gravé. C'est un ouvrage du XVIIème siècle, le texte d'une pièce de théâtre ; le personnage principal porte d'ailleurs le nom d'Alceste.
un frontispice de livre
Frontispice et page de titre de
la
Conversion d'Alceste
de Courteline -
édition originale (1905).
A voir ce livre, tout fait penser à un volume de l'édition complète des oeuvres de Molière réalisée en 1682. Mais le frontispice n'a pas été gravé par Sauvé d'après les dessins de Pierre Brissart : il s'agit d'une oeuvre de Brouet, un pastiche qu'il grava en 1905. C'est en tout cas ce qu'affirme Thomé, selon qui[1]

Courteline[2] lui demand[a] pour sa Conversion d'Alceste un frontispice dans le goût du XVIIème siècle, que Brouet grav[a] au burin.

un livre ouvert
Frontispice et page de titre du Dom Juan de l'édition de 1682 des oeuvres complètes de Molière.

Au début du siècle, le théâtre est à la mode, et les parodies des pièces de Molière aussi. En 1909, Henri Céard et Jean-Louis Croze font jouer Laurent, pièce qualifiée de "sixième acte du Tartuffe". Le premier est écrivain et romancier, ami de Gustave Geffroy et membre du cénacle neo-naturaliste. Le second fut critique de théâtre et de cinéma dans Comoedia. On peut supposer que c'est lui le dédicataire des épreuves que l'on verra plus tard Grégoire signer avec fierté. Quelques années plus tôt, Courteline a donné déjà une suite au Misanthrope. Sa pièce, intitulée la Conversion d'Alceste, fut créée en janvier 1905 à la Comédie Française. Alceste, qui désormais

convien[t] que la vie est à qui sait la prendre

n'en émerge, à la fin de l'action, pas moins désenchanté.
Dans le même temps, le collectionneur et homme de lettres Pierre Dauze est à la recherche de textes originaux qu'il destine, imprimés sur les meilleurs papiers, aux bibliophiles de sa Société des XX. Ces petits volumes sont particulièrement rares puisque tirés à autant d'exemplaires.

La genèse de l'ouvrage peut être suivie en détail par les lettres qui figurent dans l'exemplaire personnel de Pierre Dauze[3] . Courteline fait d'abord savoir qu'il a repris ses droits sur l'oeuvre, dont le texte est donc désormais disponible pour la Société des XX. Point besoin de téléphone, encore moins portable, puisque si les fréquents échanges épistolaires ne suffisent pas, on pourra aussi le trouver tous les jours au Grand Café entre cinq et six heures. Plus tard, d'autres lettres font part de ses doutes quant à la mise en page, ou demandent des corrections.

Dans cet exemplaire figurent aussi les trois états du frontispice : le premier est à l'eau-forte pure, le second est repris au burin, tandis qu'au troisième la lettre a été ajoutée. A ce sujet on découvre encore dans cet exemplaire une autre lettre, une missive anodine, dans laquelle Brouet écrit, le 5 juin 1905:

Monsieur Dauze,
très occupé en ce moment et souffrant de plus énormément d'un pied, je vous serais reconnaissant de m'envoyer le plus tôt possible le papier nécessaire au tirage de l'état intermédiaire de la "Conversion d'Alceste".
Agréez, Monsieur Dauze, mes salutations les plus distinguées.
A. Brouet
55 rue des Abbesses
(XVIIIème)

Cette lettre attire l'attention à deux titres. D'une part elle confirme que le frontispice de la Conversion d'Alceste est bien de Brouet. Il s'agit donc là de l'un de ces travaux alimentaires qu'un jeune artiste de 33 ans comme Brouet en 1905 doit exécuter pour vivre - Brouet n'est d'ailleurs pas vraiment un buriniste... D'autre part elle confirme le détail biographique apporté par Thomé dont le récit, très précis et original, semble donc bien en - presque - tous points digne de foi.

Notes:

[1] J. R. Thomé, Atalante (janvier 1942) n°2.

[2] R. Hesse dans son étude Auguste Brouet (Babou, 1930) parle de "son ami Courteline" mais nous n'avons rien trouvé qui confirme ces relations d'amitié. Tout au plus peut on remarquer qu'ils étaient voisins au tout début du siècle, Courteline habitant alors une villa rue Lepic.

[3] à la galerie Paul Blaizot.