Gonzague-Frick disparut en avril 1958 dans un silence presque total[1] . Le souvenir de ce charmant poète, très anachronique, s'était d'autant mieux effacé qu'il s'était lui-même placé à l'écart de son temps dans l'entre-deux-guerres. Son détachement vis-à-vis des choses du siècle, son entière dévotion pour la littérature, ses allures de dandy et sa courtoisie un peu affectée renvoyaient en effet plutôt aux débuts de son siècle, voire quelque peu avant...

par Alice Halicka[3] .
On ne retracera pas ici son histoire, évoquée avec sincérité et émotion par Alexandrian[2]. Elevé à Monaco par sa mère, qui passait le plus clair de son temps au casino, Louis Frick se lie au collège avec un camarade au nom imprononçable qui, devenu Apollinaire, le qualifiera plus tard de "prince des littérateurs". Son système poétique invoquait l'excentricité du verbe comme principe, et il boursouflait ses poèmes de vocables improbables et de néologismes idiosyncratiques. C'est ainsi qu'alors même qu'il côtoyait de très près les cercles surréalistes, il développa un processus créatif tout autre. De fait, Alexandrian nous apprend que s'il se dénomma lui-même Calamiste d'après l'outil d'écriture revendiqué par un surréaliste, les alizés, eux, "évoquaient l'esprit d'indépendance de l'auteur, puisqu'ils tournent en sens inverse du mouvement de la planète." On ne saurait mieux dire...
Voici par exemple ce poème inédit qu'on trouve dans le Figaro littéraire du 26 avril 1958 - il l'envoya du front pendant la Grande Guerre à une marraine qui lui avait tricoté une paire de genouillères :
Et la bienfaitrice d'ajouter "Epigonate se comprend bien, mais l'agriotimie m'a toujours laissée rêveuse" ! La veine ne tarit jamais : bien plus tard, dans Vibones, on se confronte avecVoulant de l'hydrarthrose éloigner l'aiguillon,
Vous avez tricoté pour mon épigonate,
Le bouclier parfait : or il faut que l'on mate
Cette agriotimie hénaurme du Teuton !
architriclins,
médioximes,[4] ...
La sphère à laquelle on rattacherait naturellement Gonzague Frick est celle de la littérature, et plus largement de la création artistique, d'avant-garde, de par sa longue amitié avec Apollinaire, et sa fréquentation de dada, puis des surréalistes. Mais son nom n'est pas resté associé à ce cercle, car Gonzague-Frick semble avant tout tenir à son individualité, et ses titres de gloire restent anecdotiques. Quant à elle, la sphère que côtoya Brouet, on l'a vu, ou plutôt à laquelle il fut comme convoqué plus qu'il n'y adhéra, est cette mouvance que l'on pourrait qualifier, si c'était absolument nécessaire, de néo-naturaliste, et dont les tenants furent les premiers membres de l'Académie Goncourt : Geffroy, Descaves et quelques autres, tous assez largement oubliés de nos jours. Ainsi, Gonzague Frick comme Brouet trouvèrent ils tous deux des voies personnelle assez éloignées des révolutions artistiques de leur temps, mais qui au contraire restaient marquées de l'empreinte de la tradition. Le poète à l'esthétique dandy conserve le vocable, le rythme et la métrique, et sa voie est celle de la préciosité extravagante du verbe. Le graveur ne se départit ni de l'espace traditionnel de la représentation ni de la matérialité du sujet, mais trouble la ligne jusqu'à lui faire rendre sa perception du sujet. Chacun à sa manière, leur création ne s'inscrit pas dans les courants novateurs, ceux qui sont aujourd'hui perçus comme dominant leur époque. La postérité, pour cette raison même, ne retint leurs noms que d'une manière assez troublée. En dépit d'orbites éloignées, une forme de destin parallèle émerge donc : il n'est donc peut-être pas si surprenant que ce soit Brouet qui ait fait l'illustration du Calamiste Alizé.