Brouet fut avant tout, jusqu'à la Grande Guerre, un graveur de reproduction. Il produisit en effet nombre d'eaux-fortes en couleur d'après les maîtres anciens ou les peintres en vue de son époque. Il fit également quelques grandes estampes originales en couleur, œuvres dont le statut au regard de l'histoire de l'art est un peu incertain. Quant à la gravure originale en noir, à l'eau-forte d'artiste, après quelques essais à partir de 1904, ce n'est que vers 1910 qu'il commença à s'y adonner de façon plus systématique. C'est ce que nous rappelle Heintzelman à l'occasion de l'exposition mémoriale des œuvres de Brouet en 1945 à la Boston Public Library.

une porte de ville ancienne
La Poterne de Moret, eau-forte d'Auguste Brouet, commandée par Diétrich et
exposée aux Peintres Graveurs en 1910.
Dans l'article de présentation de l'exposition[1] , le conservateur du cabinet des estampes, aquafortiste réputé et familier du Paris de l'entre-deux-guerres, écrit :

les vues de Rouen, Pont-de-l'Arche et Moret furent les premiers efforts suivis de l'artiste dans le domaine de l'estampe originale.

En tout cas ils furent les premiers qui furent publiés de façon suivie, par Diétrich, Bresler, et Georges Petit. D'ailleurs, il est significatif que Brouet participa en 1906 à l'exposition "annuelle" des Peintres-Graveurs (en fait la première depuis de nombreuses années), puis à nouveau en 1909 et de façon suivie jusqu'à la Grande Guerre. On relève un premier écho de sa participation en novembre 1910 : dans le compte-rendu de l'exposition des Peintres-Graveurs publié dans La Gravure et la Lithographie Françaises on lit :

J'apprécie beaucoup le talent de M. A. Brouet que je rencontre pour la première fois: ses croquis me plaisent autant par leur sincérité que par la délicatesse de leur facture.

L'auteur de l'article n'est autre que l'éditeur de la publication, Pierre Dautan. Dans ce mensuel consacré à l'estampe d'artiste, et à sa promotion auprès des artistes et des amateurs, le commentaire - pour la première fois - est donc assez significatif.
Il s'écoulera encore trois ans avant que les signes d'une véritable reconnaissance des œuvres originales de l'artiste puissent être relevés. C'est en effet en 1914 qu'on voit la presse s'intéresser aux eaux-fortes originales de Brouet. Dans Art et Décoration Charles Saunier écrit, dans le premier article consacré à l'artiste :

Auguste Brouet ne doit sa réputation ni à la fréquence de sa participation aux expositions, ni aux dimensions d'estampes ambitieuses. La manifestation annuelle des Peintres-Graveurs lui suffit. Les eaux-fortes qu'il y envoie sont le plus souvent grandes comme la main; il en est même de plus petites, qui n'excèdent pas la surface d'une demi ­carte à jouer.

La même année, en juin 1914, un second article lui est consacré, dans la Gravure et la Lithographie françaises cette fois. Cet article bénéficie de sources extrêmement bien informées, très certainement Grignard. on y trouve quelques paragraphes biographiques traités sur le mode plaisant, une brève analyse de l’œuvre et de ses sujets principaux et un jugement critique pertinent.

Enfin, le numéro du samedi 4 juillet 1914 du Gil Blas est intéressant à plusieurs titres. En page 2, une pleine colonne rend compte des votes au Sénat : la principale décision est qu'il est établi un impôt général sur le revenu. En une, un article ironique consacré aux obsèques de l'Archiduc d'Autriche commence par ces mots : La balle meurtrière d'un enfant serbe pare déjà son souvenir d'une légende. Enfin en page 4, la rubrique des Arts se termine par un entrefilet qui, du fort intéressant article que, dans La Gravure et la Lithographie française, M. Jean Hubert (sic) consacre au graveur Brouetdétache avec plaisir ces quelques lignes :

[...] L'éclosion de son talent doit forcer sa propre indifférence et l'heure est venue pour le public de s'arrêter à ce nom qu'il ignore et qu'il a jusqu'ici  entrevu  à peine aux Peintres-Graveurs.

un garde-voie
Le GVC, eau-forte d'Auguste Brouet
août 1914.
En fait de quoi, l'enchaînement infernal qui suivit l'assassinat de l'Archiduc s'étant propagé en un mois à l'échelle du continent, dès août, Brouet grave une petite planche, un croquis très spontané, la première de ses planches de guerre : le GVC à la barrière. Elle annonce la teneur des quatre longues années de conflit à venir, au cours desquelles la reconnaissance pourra bien attendre encore.

Notes:

[1]  "A few small plates done during visits to Rouen, Pont-de-l'Arche and Moret were the first original efforts which displayed his creative talent" in More Books, The Bulletin of the Boston Public Library, vol XX n° 5, May 1945.