une page de titre de livre
Page de titre de Mireille, de Mistral,
dernier ouvrage issu de
la collaboration de Brouet
et de l'éditeur Grégoire (1938).
Dans l'immédiat après-guerre, Frédéric Grégoire fut l'éditeur, on pourrait même dire le mentor, de Brouet, ainsi d'ailleurs que d'une poignée d'autres artistes, dont Gen-Paul. On a déjà entrevu sa personnalité exubérante et l'influence qu'il exerça sur ses protégés, qu'elle reflète sa passion pour l'art lyrique ou son amour pour sa terre natale, la Provence. Quelques documents nous en disent plus sur Frédéric Grégoire. Après une adolescence passée à Salon - il était né dans le village de Peyrolles-en-Provence en 1877[1] - il fait un service militaire de trois ans dans le 18ème escadron du train, stationné à Oran[2] . Il participa du même coup à la colonne de Goudara, qui, à l'occasion de la mission géologique dirigée par M. Flamant, entreprit presqu'à l'improviste la conquête des oasis sahariennes en 1900.
Libéré de ses obligations militaires en février 1901, on le retrouve à Paris dès 1902. On peut entrevoir le milieu, très provençal, qu'il y fréquente à l'occasion de son mariage. Il épouse Lucie Mitais en 1905[3] ; deux témoins sont des parisiens de Provence, et pas tout à fait des inconnus. Nous évoquerons ici le premier, et consacrerons une autre chronique au second, qui se révèle être un personnage tout aussi intéressant.
Firmin Delrieu est né à Nice en 1881 d'un père charpentier et d'une mère chapelière[4] . Vers ses vingt ans, il habite à Marseille, mais - tout comme Grégoire - on le retrouve à Paris dès 1902[5] . En 1905, au mariage de Grégoire, il est qualifié - comme le marié lui-même, du reste - d'artiste lyrique. Or, si Grégoire dut interrompre sa carrière de chanteur suite à des problèmes d'audition, et ne s'est donc pas illustré sur les planches, c'est précisément à cette époque que Firmin Delrieu se fait une certaine réputation. Baryton, il est le chanteur du Trio montmartrois, et interpréte les chansons composées par Albert Larrieu, accompagné par l'auteur à la mandoline et Marius Farrail à la guitarre. Voici d'ailleurs, selon le quotidien le Journal, la présentation du trio que fit Séverine à l'occasion d'une Amicale Causerie[6] :

Elle rappela les débuts difficiles de ces trois jeunes gens à qui la muse montmartroise ne fit que tard ses confidences. Ils arrivèrent, dit-elle en substance, à ce point douloureux de la misère où l'on doit choisir entre se faire cambrioleur ou entrer dans la politique. Heureusement, ils prirent un tiers parti. Ils firent des chansons — en France, tout ne finit-il pas par là ? Maintenant, ils sont adulés, fêtés, recherchés par tout Paris ; ils chantent même devant des cours étrangères. Beau résultat, après avoir commencé à chanter dans les cours parisiennes.

Le succès du Trio Montmartrois fut durable, et son implication dans les actions charitables en faveur des pêcheurs de sardines lui donna même une résonance à Concarneau qui perdure encore[7] !
une eau-forte représentant une rue de Montmartre
eau-forte de Brouet (Ba 25)
pour la fête du Trio Montmartrois
1907.
Pour en revenir à Brouet, on se souvient qu'il commit une illustration pour la fête du Trio Montmartrois en 1907. Sa grande eau-forte, qui représente une rue descendant du Sacré-Coeur, toujours en construction, figurait sans doute en couverture du programme. Le spectacle fut donné le 17 avril à la salle des fêtes du quotidien le Journal, sous la présidence de Jean Richepin et avec la participation d'une brochette d'artistes, dont la journaliste Séverine, dans une de ses causeries fameuses, Marguerite Deval, Xavier Privas[8] ,... Si Brouet n'appartient pas au cercle provençal, on est amené à penser qu'il a rencontré Grégoire assez tôt après l'installation de ce dernier à Paris. On pourrait ainsi mieux comprendre Thomé, d'ordinaire très bien informé, lorsqu'il qualifie Grégoire d'ami d'enfance retrouvé dans une caserne lors de la guerre[9] . Pendant la Grande Guerre en effet, Grégoire, réformé pour surdité légère, est versé dans le service auxiliaire et fréquente donc les casernes parisiennes tandis que Brouet, lorsqu’il n'est pas GVC, est à Paris où il grave. Et si l'on ne voit pas très bien comment ils auraient pu être amis d'enfance, ils pouvaient par contre bien être déjà à l'époque de vieilles connaissances...

Notes:

[1] acte de naissance, 18 février 1877.

[2] registre des matricules, archives des Bouches-du-Rhône.

[3] acte de mariage, 14 juin 1905, mairie du 18ème arrondissement.

[4] acte de naissance, 11 novembre 1881.

[5]  registre des matricules, archives des Bouches-du-Rhône.

[6] Le Journal, 19 janvier 1906.

[7] Au sujet de la complainte des Filets Bleus voir le site des Filets Bleus.

[8Le Journal, 11 avril 1907.

[9]  J. R. Thomé, Atalante (janvier 1942) n°2.