Marchande
Un marché de rue - vers 1905 ?
Eau-forte d'Auguste Brouet (Ba 62)

Mesurant 250×168 mm, c'est une eau-forte signée, mais non numérotée. Elle est tirée avec soin, sur un vergé de qualité et avec une belle finesse d'encrage. Elle représente une petite longueur de rue commerçante, par une matinée animée. A gauche, la devanture d'un commerce, avec son auvent massif, décoré de victuailles peintes, dans l'ombre duquel on découvre tout un bric-à-brac de quincaillerie - ou bien est-ce un charcutier ? Jouxtant ce magasin, l'entrée sévère d'un immeuble, en pierre de taille, ou plutôt avec ces moulures qui l'imitent. Sous le linteau, zébré d'une méchante fissure, la porte est décorée de panneaux de verre à motifs de palmettes. L'un des battants, ouvert, laisse entrevoir un profond corridor, que l’œil parcourt jusqu'au plein jour de la cour intérieure.

Un chien en raccourci, au premier plan, ainsi que l'enfilade du corridor mènent l’œil au plan de la scène. Les personnages qui le peuplent forment comme un condensé des motifs favoris de Brouet. Un joueur d'orgue, son instrument sur le dos, entre par la gauche. Sa silhouette n'est pas sans évoquer le Marchand d'habits (2ème planche) (Ba 19, 1904), Son chemin va contourner une marchande des quatre-saisons et sa carriole à auvent, bigarrée comme un patchwork de sacs et de paniers, qui tour à tour offrent au regard les efflorescences d'une marchandise qui déborde ou les valeurs contrastées de surfaces détourée d'une pointe sûre, aux textures modulées avec art. La marchande sert une cliente à moitié masquée par la voiture, dont elle clôt le motif de sa figure massive. Une seconde marchande, qui fait affaire près de sa carriole, referme à droite cette enfilade. Au premier plan, une jeune fille guide avec précaution les pas d'un tout jeune enfant, qui observe d'un œil circonspect le passage du chien, tandis qu'à l'arrière-plan, on devine la silhouette d'un autre joueur d'orgue, assis au sol et moulinant un air d'une main fatiguée.

Marchand de gui
Marchand de gui - vers 1907
Eau-forte originale en couleur d'Auguste Brouet

Quoiqu'elle paraisse très familière par son thème, cette planche présente de nombreuses singularités. Si on y trouve tous ces personnages populaires de Montmartre qui donnent leur animation si particulière aux planches en noir de Brouet, dès les années 1904-1914, et encore bien plus tard, leur association en si grand  nombre dans une seule composition en noir est inhabituelle chez lui. On a l'impression d'avoir deux planches de Brouet en une, comme si on avait voulu combiner, par exemple, le Joueur d'Orgue (Ba 247) et la Place Blanche (Ba 52). En fait, la construction de cette  planche nous renvoie plutôt au Marchand de Gui, cette estampe originale en couleur de l'année 1907 [1] dont la composition est très semblable, dans la disposition de la rue, des personnages, du chien[2]. La taille de cette dernière planche est certes beaucoup plus importante (558×478 mm), mais elle ne fait que souligner les dimensions déjà remarquables de celle-ci, si on la compare aux petites estampes originales en noir de la même période. Dernière caractéristique insolite, le trait est du plus grand lâché. La matière est bien celle de Brouet, mais par une observation détaillée, on retire une impression de travail rapide, de construction moins précise des masses que dans d'autres travaux.

Marchande
Un marché de rue (détail) - vers 1905 ?
Eau-forte d'Auguste Brouet

Il n'y a aucune indication, ni apparente sur l'épreuve, ni dans la littérature sur cette œuvre, dont on trouve reproduite ici l'unique épreuve connue. Que peut-on en dire ? Peut-être un essai à taille réduite pour une planche en couleur, une première pensée pour la grande planche en couleur du Marchand de Gui ? En comparaison de la nôtre, la composition de cette dernière, qui accueille un nombre bien plus grand encore de personnages, est en effet enrichie d'une large tache biscornue d'ombre portée, sur le pavé à gauche. Cette ombre, ainsi que la figure du marchand, et encore plus la brassée de gui qu'il transporte[3] , matérialisant le premier plan à droite, brisent la régularité d'une composition plane et frontale, que Brouet a peut-être voulu dynamiser par ces choix. Ou à l'inverse, s'agit-il d'un premier essai de planche en noir ? Est-ce par exemple un précurseur de La Boucherie (Ba 16), qui présente de nombreux éléments communs, mais dont les volumes apparaissent tout autres grâce à l'utilisation de la perspective diagonale ? Avant que le métier ne s'affirme et que le travail ne condense la planche et le dessin en ces petites pièces, ces groupes de marchands et ces petites scènes d'artisans au travail, qui nous si familiers ? Impossible de l'affirmer avec certitude en l'absence d'éléments supplémentaires : tout au plus cette planche nous permet-elle de pousser un peu plus loin la réflexion sur le travail de l'artiste et son développement[4] .

Notes:

[1] Catalogue de l'Exposition de la Gravure originale en couleur, galerie Georges Petit, 1907.

[2] Pour un intéressant jeu des différences, cherchez, dans un ordre de difficulté croissant : le chien, le joueur d'orgue, l'enfant et sa sœur, la voiture des quatre-saisons et sa marchande, le second joueur d'orgue. 

[3] Pour ce personnage, voir la planche en noir Le Marchand de gui (Ba 12) qui suscite des questions analogues.

[4] Dans la logique du catalogue, on lui aurait attribué quelque chose comme le numéro Ba, 17,5, mais le premier entier disponible étant plus loin, elle portera le numéro Ba 62.