Brouet_Dobbelaere_300dpi.png
Carte portant le nom et l'adresse de la firme Dobbelaere - vers 1930 ?
Eau-forte d'Auguste Brouet, imprimée par Vernant - 2ème état (EB 285).
L'estampe n° 285 du catalogue, intitulée Le Fripier, n'est mentionnée dans aucune source, si l'on excepte une simple inscription dans le fichier du marchand H. Petiet. C'est une eau-forte en hauteur, qui représente un marchand de rue, fort dépenaillé, campé devant une entrée de cour. La tête tournée vers la gauche, il scrute le lointain : vient-il d'apercevoir un chaland, une affaire est-elle en vue ? Un visage aux traits forts,  la moustache hirsute, il porte un fort ballot sur l'épaule et quelques manteaux jetés sur le bras gauche, ainsi que deux chapeaux.  Il a lui-même revêtu un pardessus rapiécé, et s'est coiffé d'un chapeau boule passablement défoncé. La cour qu'on devine derrière lui dessert une petite fabrique, ou bien un commerce :  on y découvre un artisan dans son échoppe, motif si fréquent chez Brouet, et quelques sacs entreposés dans un coin. On est sans doute vers Clichy ou Saint-Ouen.
La silhouette du marchand de rue est dominée par une large enseigne qui coiffe le portail menant à la cour. Dans l'état connu jusqu'à présent, celui-là même que Petiet a décrit, ce panneau est vierge de toute inscription. D'ailleurs la planche porte une tablette également dénuée de toute lettre. Dans un second état qui vient de réapparaître (Figure), cette tablette a été coupée, et on a gravé en pied les noms du graveur, Brouet, et de l'imprimeur, Vernant. Et le panneau du portail arbore désormais en une grosse police ostensiblement gothique gravée d'un burin appliqué, un nom, une adresse et cette invitation :

R.R. Dobbelaere

serait honoré de votre visite

30 avenue de l'Opéra
Retif_Dobbelaere_300dpi.png
Carte pour le tailleur Dobbelaere - vers 1925 ?
Eau-forte de Maurice Rétif.

Le choix de la police fut il inspiré par l'assonance nordique du nom ? Et d'ailleurs, qui est Dobbelaere ? Une autre carte, d'un tout autre style, nous l'indique. Elle représente, dans un intérieur sobre mais opulent - on notera par exemple le riche travail des croisillons de la fenêtre - un jeune homme qui plastronne dans un frac cossu, devant les yeux aussi approbateurs que satisfaits d'admirateurs de tous âges qui ne peuvent guère être que ses proches. Cette complaisance a une raison, qui est donnée par la légende : son premier costume vient de chez Dobbelaere, ce couturier chic qui habille le tout Paris de l'entre-deux-guerres. Cette seconde planche est due au crayon, ou plutôt la pointe, de l'intéressant dessinateur Maurice Rétif (1887-1966[1]). Issu d'une famille d'industriels du Cher, fabricants de voitures d'abord hippo- puis automobiles, bien de luxe s'il en était, Rétif était à même de faire valoir la distinction et l'élégance d'un tailleur chic.

On doit donc certainement voir en la planche de Brouet un canular amusant. S'agit-il du réemploi d'un cuivre abandonné, ce qui expliquerait le soin d'abord apporté à cette planche, dont une épreuve de premier état nous suggère qu'elle fut aciérée ? S'agit-il d'une planche-gag exécutée sur commande ? L'origine de ce trait d'humour risque fort de nous rester longtemps inconnue. Mais on y verra sans difficulté un éclair de cette malice que Thomé se plut à rapporter[2] lorsqu'il nous fit le portrait de l'artiste, tout comme il apporte une touche supplémentaire au tableau des camaraderies d'artistes auxquelles on devine Brouet participer volontiers, et que nous décrirons dans un autre billet.

Notes:

[1] Rétif décèdera à l'abbaye d'En Calcat sous le nom de Frère Luc. On trouvera une brève biographie de l'artiste ici.

[2] dans son article dans la revue d'art Atalante (1942), dont on trouvera le texte ici.