
Eau-forte et roulette, vers 1903 (Ba. 13).
Sans les catalographes et leurs minutieux inventaires, que deviendraient les artistes méconnus et leur oeuvre ? Et où erreraient leurs amateurs ? Le catalogue de l'oeuvre gravé d'Auguste Brouet avait été quelque peu négligé ces derniers temps, j'en conviens ! [...] la loge du Marais est une échoppe en planches, et le portier un cordonnier
, dit encore Berthaud. Mais il vient de reprendre un peu de lustre, ce bouge qui, sans prétendre comme les Tuileries accueillir un suisse, peut à nouveau dignement héberger sa concierge.
La concierge ! Personnage accessoire mais omniprésent de la littérature populaire du siècle, protagoniste involontaire aussi -- et parfois victime -- de tant de faits divers burlesques ou sordides dont les feuilles de choux biberonnaient avec méthode un lectorat avide.
Mais la concierge de Brouet ! Dans des enroulements de jupes, de châles et mitrée d'une charlotte à noeuds de rubans, matou sur le giron, elle a l'oeil rivé à son délicat ouvrage. Indifférente aux sollicitations du locataire importun - le premier état de la gravure encadre de surcroît la scène d'une massive embrasure de porte - elle trônant au milieu de son étroite loge entre des amoncellements d'ustensiles domestiques, plantes vertes et souvenirs de son Limoge natal? Un rai lumineux filtre du rideau relevé et par la fenêtre on devine des fonds mystérieux, comme un décor de théâtre - façades parisiennes ou contreforts gothiques ?
N'est-elle pas étrange cette fenêtre ? Quelle loge de concierge en a une aussi grande ? N'est-ce pas là plutôt une réminiscence de graveur maniant l'aiguille à la lumière diffuse de son cadre ou bien un prétexte à réfracter dans l'espace ce faisceau de lumière par l'encrage de la planche, les chatoyances de la roulette et la damasserie des réserves ménagées par l'eau-forte comme autant d'éclats accrocheurs ?
La planche arrête le catalographe aussi parce qu'elle a traversé l'oeuvre. Datée 1904, elle compte au nombre des premières eaux-fortes originales, et reste empreinte de la pratique des eaux-fortes en couleurs d'interprétation : planche d'assez grande taille, d'autant plus dans son premier état, elle en a aussi le faire large, les volumes délicatement modelés à la roulette. Elle fut reprise peu après 1920, pour répondre à la demande croissante des amateurs : pour être éditée, elle dut subir cette réduction qui la mit au goût du jour. Il faut alors fabriquer du Brouet à la hâte : d'autres grandes eaux-fortes, comme les Fortifs (vers 1905) ou, plus tardive, Saint-Etienne des Tonneliers par exemple, subiront un sort semblable : elles seront, elles, coupées en deux ou trois planches qui conserveront chacune quelque notation pittoresque.
De même c'est en 1922 qu'on se mit en demeure de faire un catalogue : on prit la collection Bonabeau et on en tira à la hâte une reproduction, de qualité il est vrai, le catalogue Boutitie (1923). Mais les rares épreuves de la collection de Georges Grignard, ainsi que ses annotations, recueillies parfois de l'artiste lui-même et portées méticuleusement sur une double série de fiches voire sur les montages de ses épreuves, restèrent ignorées. C'est d'ailleurs aussi à cette date que Grignard vendit sa collection à Wiggins et son catalogue manuscrit avec. Il est désormais à Boston (BPL) et ses annotations retranscrites ici.
Je vous souhaite une excellente année 2025, avec un catalogue de l’œuvre gravé d'Auguste Brouet plus grand, et tout neuf !