Portrait de Séveilhac
eau-forte d'Auguste Brouet.

Le premier portrait est celui d'un homme déjà un peu âgé, assis dans un fauteuil canné, les main jointes posées sur son giron. Il est probablement à l'extérieur, au soleil; la paupière se fait lourde, il paraît somnoler sous son panama.

Cette planche est bien répertoriée puisqu'elle figure entre autre dans la Bibliographie de la France. Gravée en 1926, il s'agit d'un portrait de Paul Séveilhac. Chanteur d'opéra, né à Marmande en 1866, il mena une carrière internationale à la Belle Epoque. En France on l'entendit dans de nombreux rôles de baryton à l'Opéra Comique. A l'étranger, il chanta à la Monnaie à Bruxelles. Au Manhattan Opera House en 1906-7, il est tour à tour Escamillo dans Carmen et Di Luna dans Le Trouvère. On put l'entendre aussi pendant plusieurs années à Covent Garden, où il interpréta en 1902 le rôle de Germont dans la Traviatta, aux côtés de Caruso, puis les saisons suivantes Mercutio dans Roméo, Silvio dans Paggliacci et Valentin dans Faust, aux côtés de Dalmorès, entre autres rôles. Après la Grande Guerre il quitta la scène et professa au conservatoire de Bordeaux. Il mourut en 1942 dans sa ville natale.

une photographie de scène
Paul Seveilhac
dans le premier acte de Carmen
photographie
www.collectionscanada.gc.ca

Une intéressante photographie nous le montre en scène, bien des années auparavant, dans une tenue martiale, la botte lustrée, le chef coiffé d'un magnifique casque de cuirassier. Il est également assis sur une chaise, assez quelconque, probablement de bistro, mais quelle pose avantageuse, à califourchon...! Dans cette scène qui semble être extraite de Carmen, il donne la réplique à une avenante bohémienne qui semble le narguer une fleur à la main. Selon les Archives du Canada à qui nous devons l'accès à cette photo, il s'agit de nulle autre que sa femme, Pauline Donalda, la très célèbre soprano canadienne qu'il épousa à Londres pendant la saison 1906[1] .

une photographie de chanteur en scène
Léon Campagnola
dans Le Jongleur de Notre-Dame
photographie

Le second chanteur, on le voit ici dans le rôle du Jongleur de Notre-Dame. Son physique, son accoutrement et l'expressivité de sa mimique font d'ailleurs immédiatement penser à un acteur français contemporain assez connu, qui tint entre autre un rôle de valet dans dans un film comique au cadre semi-médiéval ne rappelant que de très loin l'oeuvre de Massenet... Mais il s'agit ici de Léon Campagnola, ténor réputé. Né à Marseille en 1875, il étudia d'abord au conservatoire de cette ville, puis à Paris. Il fit ses débuts de ténor en 1903 à Versailles, et entama une carrière internationale qui l'emmena en Belgique, en Suisse et aux Etats-Unis, outre de nombreux engagements en France, tant à Paris à l'Opéra qu'en province. Il mit fin à sa carrière en 1926 et mourut dans sa ville natale en 1955[2] .

un portrait d'homme
Portrait de Campagnola
eau-forte d'Auguste Brouet

Or on a également un portrait de Campagnola gravé par Brouet. Ce portrait-ci ne fut pas édité, et on n'en connaît même qu'une seule épreuve. C'est d'ailleurs une note manuscrite de H. Petiet en pied du feuillet qui identifie le modèle. Si on compare la gravure et la photographie, il semble bien que l'estampe le représente lui aussi dans la force de l'âge.

Pourquoi donc Brouet, qui ne fit que peu de portraits, grava-t-il ces deux vieilles gloires à la retraite ? Probablement sous l'influence de son éditeur d'après-guerre, Frédéric Grégoire ! En effet, d'après une courte notice biographique récente, Grégoire se serait d'abord destiné à être chanteur d'opéra. Il part donc pour Marseille et c'est probablement durant sa formation au Conservatoire de cette ville qu'

il se lie d'amitié au futur grand ténor de l'époque, Léon Campagnola.

Toutefois un problème d'audition lui fait mettre prématurément un terme à sa carrière lyrique, et c'est ainsi qu'on le retrouve quelques années plus tard éditeur d'art à Paris. A travers ces deux portraits inattendus, on devine que Grégoire savait infléchir les choix thématiques de ses protégés. Peut-être faut-il d'ailleurs chercher en Grégoire l'origine d'autres planches surprenantes chez Brouet...

Notes:

[1] C'est du moins ce que nous disent les archives du Canada. L'attribution pose question cependant, le rôle de Carmen étant plutôt destiné à une mezzo-soprano (Pauline Donalda était soprano) et celui de Don José à un ténor (Séveilhac était baryton)...

[2] http://forgottenoperasingers.blogspot.fr.